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Au crampon affûté
10 juillet 2006

Kronique N°43 – Le final

J’avais tourné en rond toute la journée, même fait une sieste pour passer le temps, regardé la finale de Wimbledon en diagonale, visionné les différentes rétrospectives proposées. J’attendais comme à l’habitude mon poteau à cinq minutes des hymnes.
Juste avant, je respectais le protocole.
A un quart d’heure du coup d’envoi, j’enfilais le maillot, je mettais le déodorant en terminant par un V sur la poitrine. Le flacon était pratiquement vide, il en restait assez pour un dernier match. 

Je préparais les verres sur la table basse mais je ne les remplirai qu’à la mi-temps avec une bouteille d’eau gazeuse pleine. Comme d’habitude. Les hymnes résonnent et nous sommes debout bras sur les épaules. Fiston s’accole à nous et cherche Zidane des yeux. Nous lui expliquons qu’il s’agit du chauve sans penser qu’ils sont presque tous chauves dans cette équipe bleue, non blanche.
Nous nous rasseyons, j’ai terriblement chaud et les mains moites. J’ai une jambe tendue, l’autre pliée sous moi. Il faut commencer le match comme cela et prendre la position mystique dès que cela tourne mal.

Je n’aurai pas attendu longtemps. Henry se prend un bus italien sur les cervicales et reste groggy. Je m’assoie immédiatement en tailleur, les mains jointes, doigts entrelacés, presque comme une prière mais les deux pouces sont relevés. C’est la position, celle que j’avais trouvée contre le Togo et qui fonctionne. 

A peine quelques minutes ont passé que Malouda s’infiltre dans la surface de réparation et s’écroule, bousculé à l’évidence par deux moissonneuses batteuses italiennes en retard. J’avais beau revoir l’action plusieurs fois, je ne retrouvais pas la faute qui paraissait si incontestable en direct.

Je reste circonspect. Zidane s’élance et tente, réussit avec réussite, une panenka, cette sorte de frappe piquée, lente, signe d’un joueur culotté. Je n’aime pas les panenkas, les joueurs adverses non plus. Personne n’aime ce tir, interprété comme un manque de respect. Je pense que Zidane n’aurait pas dû, il sait enrouler des bonheurs de ballon dans le petit filet comme contre le Portugal il y a quatre jours, un siècle.

C’est un signe. Dans un match, peu importe qu’il fut une finale, je conviens que nous n’avons jamais rien sans rien et qu’à un moment donné, il y a ce retour de bâton. Je m’inquiète de la suite. Un penalty peut-être non justifié, une panenka, hum, je n’aime pas ce début de match trompeur.

Il équilibre sans doute les erreurs d’arbitrage de ce début de compétition contre la Suisse et la Corée, mais tout de même.
L’égalisation sur corner arrive vite et remet les pendules à zéro. Logiquement.

La France manque de se prendre deux autres buts sur des mêmes corners et têtes de Materazzi , drôle de défenseur géant et Toni.
La première mi-temps est insupportable, les italiens sont supérieurs, tactiquement, physiquement, ils se jettent sur les ballons, interceptent deux secondes avec les français. J’attends le repos avec impatience en espérant que Raymond et les joueurs se replaceront dans le bon sens.
Les minutes s’égrènent et je n’arrive plus à positiver. 

Coup de sifflet, tour du jardin, quelques frappes de ballon Némo, dribbles avec le chien, nous parlons des vacances qui approchent. Le quart d’heure passe trop vite cette fois ci et je crains de retrouver l’envie italienne plutôt que la maîtrise de nos tricolores.

La seconde partie est tout autre. Je râle sur les décisions arbitrales toujours moyennes. Sur quelques sauts, le joueur français est toujours pénalisé qu’il joue le ballon ou non. L’arbitre nous oublie un vrai penalty. Je ne dis presque rien et imagine que c’était logique à cause du précédent. Les italiens ne pourront rien réclamer à la fin. Ah ! la fin, elle approche et les français se montrent plus frais physiquement, étonnement plus en jambes pour tous ces trentenaires décriés.

Peu d’actions, de tirs mais la pression reste française, presque à l’image du dantesque France – Brésil des quarts.

Vieira se blesse, tout seul. Diarra prend le relais en ne prenant pas la mesure du match immédiatement. Vieira était rassurant, percutant. La vieille garde perd un de ses meilleurs. Je n’aime pas. De moins en moins. Je repense à cette statistique étrange qui veut que l’Italie aille en Finale de Mondial tous les douze et qu’ils en gagnent une fois sur deux. Ils ont perdu en 1994. 

L’Italie résiste en faisant de la figuration. Les chocs sont rudes et plus engagés du côté transalpin.
De Rossi, le casseur de pif américain, expulsé depuis le deuxième match, se prend une manchette. Je souris en me demandant s’il sait désormais ce qu’on ressent.
Les italiens ont marqués cinq de leurs onze buts dans les dix dernières minutes. Le temps passe lentement, nous attendons presque les prolongations. Elles viennent. 

Je me détends en faisant des étirements dans le salon. La position tailleur fait souffrir mes chevilles et mes genoux.
Les prolongations ressemblent à la deuxième mi-temps. Les italiens ont les chaussettes totalement vides et patientent pour l’exploit de Buffon, meilleur gardien du Monde, aux tirs au but. Plus tard.
Nous avons encore temps de faire la différence.

...

104ème minute, il fallait que cela bascule d’un côté ou de l’autre, qu’il se passe quelque chose. Sur un centre parfait, libre de tout marquage, Zidane s’infiltre dans les dix-huit mètres pour smasher une tête imparable. Le ballon vif percute la transversale, comme sur le penalty d’il y a cent minutes de cela, Buffon est à terre, le ballon repique au sol, lui rebondit sur le dos et rentre. Il avait été dit que Zizou serait le héros de la finale. C’est une histoire de destin, comme la voix qui l’avait réveillé une nuit d’août 2005 et lui avait dicté de revenir en équipe de France. Il n’en avait alors pas terminé avec son Histoire de meilleur joueur du Monde.
2-1 pour la France, j’ai sauté du canapé en hurlant, la petite, dans la chambre au dessus appelle. Je serre les poings et me dis qu’il n’y a plus qu’à tenir. Ce serait injuste que tout se déroule autrement.

Trezeguet est entré comme celui qui ferait peut-être de nouveau la différence comme en 2000. Une action est symptomatique avec une échappée de Malouda sur la gauche, il reste le centre en retrait mais la passe est mal ajustée. Je rêvais tout haut. 

110ème minute, il y a une altercation en dehors du champ des caméras. Le jeu s’arrête, les joueurs discutent, deux sont à terre. Le n°4 italien et le n°10 français. Les secondes passent sans décision, le téléspectateur attend le ralenti. L’arbitre central va finalement voir son assistant, nous voyons enfin l’action litigieuse. Materazzi et Zidane s’échangeaient des mots jusqu’à ce que l’un prennent le maillot de l’autre dans un poing serré, Zidane se dégagea d’un geste brusque et tous les deux simulèrent le choc. L’arbitre se dirige vers les deux, sort de sa poche un avertissement jaune clément pour les deux parties.

L’argentin ne veut pas gâcher la fête. Il aura raison. 

118ème minute. Del piero s’échappe du côté d’Abidal. Deux contre trois mais l’italien est frais de son entrée et fait la différence, le centre au deuxième poteau lobe Gallas et le Toni se jette.
C’était la seule action de l’Italie depuis la 44ème.
Il n’y a pas de justice, j’hurle, ce n’est pas possible. 2-2. Et merde.
Il reste une poignée de seconde qui ne changeront pas la face du Monde, les deux équipes sont cuites al dente. 

Il était dit que tout se finirait aux tirs au but parce que la dramaturgie de la rencontre vaut cela.
C’est banal, les joueurs sont allongés, épuisés, Domenech fait le tour pour les désignations. Cinq victimes. Henry et Vieira sont déjà dehors.

C’est à la fois trop long ou trop court, je voudrais profiter de ce temps là. Contrairement au match, je sais que dans un quart d’heure le champion du Monde 2006 sera désigné. 

Je croise tout ce qui peut être croisé, j’ai le poing serré et le lève à chaque but français.
Personne ne se met à la faute, Buffon n’arrête rien, Barthez non plus. 

A 4 partout, Del Piero, malheureux il y a six ans, frappe la barre, prêt de la lucarne, à l’image du tir de Di Biagio en 1998. Il reste le dernier tireur.
Zidane prépare le ballon, l’embrasse comme un Platini le faisait. Tout était préparé. Sa frappe trompe Buffon dans le petit filet, à sa gauche cette fois-ci. 

La France vient de remporter sa seconde étoile. Je suis heureux comme un soir de 98 et de 2000. Je tape dans ma main de mon poteau, les joueurs s’enlacent, les italiens sont défaits. 

Je ne quitte pas l’écran des yeux pour tout recueillir, la joie d’un groupe qui y aura cru.
Zidane sera ballon d’Or à la fin de l’année, c’est une évidence, il aura su suivre les signes. 

Vingt minutes plus tard, les klaxons résonnent partout, les cornes de brume, je suis dehors sur la petit table. Il fait noir, mon poteau est déjà parti rejoindre sa famille, j’ai sorti cette bouteille de champagne qui restait d’un anniversaire.

Je savoure un instant aussi rare que futile qui ne doit rien à personne.
Des troupes bleu blanc rouge passent dans la rue. 

Je savoure avec ma coupe.
Tout le monde est bien.

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