Kronique N°30 - Les couilles du toréador
Avec mes excuses pour le titre.
La configuration est établie. Mon poteau arrive dix minutes
avant le coup d’envoi, juste le temps de faire la bise aux nains et les hymnes
peuvent débuter.
Il est des soirs plus importants que d’autres, aussi nous nous
tenons debout bras sur les épaules, face aux joueurs et dans l’entrain de la Marseillaise. Comme
depuis le Togo, je porte le maillot bleu de 98, celui qui n’a pas encore
l’étoile or arrachée un 12 juillet.
Ça ne doit pas s’arrêter ce soir comme c’était inconcevable que
la vieille génération s’en aille par la petite porte vendredi dernier. Il ne
fallait pas écouter la presse espagnole et encore moins le sélectionneur
ibérique. Le match semblait être joué sur le papier. L’expérience française
serait dépassée par la fougue jeunesse espagnole.
Je disais hier que je croyais y croire.
Le battage médiatique sur l’armada espagnole faisait effet,
j’étais excessivement méfiant. Les deux équipes pressaient haut, cherchaient la
possession du ballon. Le rythme était peu élevé, les picadors se plantaient sur
une accélération. J’aimais les interceptions défensives tricolores prouvant
qu’ils étaient bien entrés dans le match.
Toujours avec cette idée de pourvu
qu’ça dure, le match avançait.
La première faute fut pour eux. La première action fut pour
nous lorsque ni Ribéry, ni Vieira ne purent reprendre un centre devant les
buts.
Nous devisions tactique, commentions le choix du seul attaquant
français et Thuram mit la
semelle. Je vis la simulation avant d’acquiescer, bien obligé.
Barthez partit du bon côté mais le penalty était parfaitement tiré dans le
petit filet.
Dans un match aussi verrouillé, le premier but, dit-on, souvent
à raison, est décisif.
Ce n’était pas mérité, pas forcément mais débloquait la partie.
Henry aura passé 90 minutes à jouer de l’autre côté de la ligne
virtuelle du hors-jeu. Pas une faute d’arbitrage, rien à se mettre sous la dent
de ce côté-là. Le référé italien fut tout simplement parfait, le meilleur
depuis le 9 juin.
Comme l’équipe et le pays, je patientais en voyant les secondes
s’égrener jusqu’à la mi-temps avec l’assurance qu’un deuxième but encaissé
serait fatal.
Nous discutions de l’âge du capitaine lorsque le ballon partit
dans le dos de la défense espagnole, Ribéry fit tour du périphérique avant de
crocheter Casillas dans un mouvement presque trop lent, un tir du talon et deux
défenseur plongeaient pour tacler la balle en dehors du but déserté. Le ballon
passait, je ne sais pas encore comment. L’ex-néo-futur-ancien lyonnais (ou
marseillais) rejoignait le banc de touche pour sauter sur ses coéquipiers.
Après tant d’occasions ratées dans les matchs précédents, ce
but déclenche tout.
Quelques instants avant la mi-temps, ne pas se relâcher,
surtout pas. Les équipes se maîtrisent.
1-1 pendant un quart d’heure. Nous prenons le frais dans le jardin. Je me donne une contenance en jouant avec le chien qui perd ses poils. Le stress du match sans doute et ses sursauts lorsque nous hurlons. Je reviens avec deux minutes de retard le temps d’une bouteille d’eau à récupérer et d’un petit pipi salvateur (c’est intéressant non). Je ne sais pas si c’est bon pour la concentration d’aller ainsi se soulager avant la reprise. Selon le même raisonnement, je m’étais rasé la veille pour ne pas perdre l’influx.
La seconde moitié du match est identique à la première avec un
jeu espagnole qui se développe et se heurte à la défense française. Les bleus
jouent en contre, c’est étonnant. Henry est toujours hors-jeu. L’arrière
latéral hispanique à la calvitie évidente commence à me chauffer.
Aragones fait ses premiers changements, très tôt. A vingt
minutes de la fin, il avait fait ses trois remplacements. Je ne comprenais pas.
Il avait donc modifié quelque chose en écartant son équipe sur les ailes sur un
schéma proche de l’équipe de France. Raul le madrilène était sacrifié. Je ne
sais même plus ce qu’il s’était passé durant ce début de seconde mi-temps. Le
match n’embrayait pas sur une prolongation, ça se sentait, ça se règlerait
étrangement, à la coréenne peut-être. La frontière entre le match réussi et le
raté était faible.
Raymond réagissait lentement aux modifications tactiques
espagnoles. Je réfléchissais au banc en nommant les remplaçants. Nous en
concluions qu’il était faible. Rien ne changeait, le coaching à la Raymond me
faisait peur. Vas-y, réfléchis, je ne comprenais plus rien. Puis à ¼ d’heure de
la fin, Govou, celui qui a le numéro prévu de Cissé spectateur crêté du soir,
rentrait.
Je restais circonspect. Govou, pas possible, pas lui quand
même. Mais que fait Raymond ? Malouda en demi teinte sortait. J’étais
perdu tactiquement bien que ce fut un remplacement poste pour poste. Il se
passait des trucs sur le terrain et même les explications d’Arsène Wenger ne me
paraissaient pas limpides.
Au moment où Vieira piqua sa tête sur le coup franc de la 84ème
minute, je voyais le ballon à l’extérieur pendant 2 secondes, il n’y avait pas
but. Juste le temps pour la caméra de se fixer sur Iker avec le ballon dans les
bras à l’intérieur des buts. J’entendais but en décalé et sauta en beuglant.
Nous rebondissions de concert entre la table basse et la télé.
Les joueurs s’entassent dans une joie que nous n’avions pas vue
depuis longtemps. Vieira est encore une fois, grand, très grand.
Je reprenais ma position avec le chronomètre en ligne de mire.
Mon poteau proposait d’amener son cardiomètre pour le prochain match. Que c’est
long cinq minutes.
Henry sortit pour Wiltord. Raymond jouait le résultat en
l’état. J’imaginais déjà le changement Ribéry – Saha en cas d’égalisation.
Plusieurs corners hispaniques de suite, quelques coups de
sifflet bien à propos de l’arbitre. Deux minutes d’arrêts de jeu qui se
transformaient en 3. Trop long. Je n’empêchais pas mon esprit de courir
jusqu’au Brésil de samedi. Des choses trop belles pour ne pas y penser
sérieusement quand on mène 2-1 contre l’Espagne à 5 minutes de la fin.
L’Espagne perdit un ballon bêtement en touche, je me disais qu’ils n’y étaient plus. Puis l’interception, le une-deux-trois d’école pour décaler Zidane sur la gauche. L’essence dans le moteur paraissait manquer mais la défense espagnole peinait à revenir aussi. Zizou repique dans la surface, il fait le crochet sur Puyol et tire au premier poteau. Iker est trop court, pratiquement à contre-pied. Le ballon rentre, c’est de nouveau l’hystérie de la délivrance, la victoire qu’on ne remet pas en cause, l’estocade. Le vieux taureau porte en haut de ses cornes acérées les cojones d’Aragones. Comme ajoute mon poteau : ‘Aragones, tu l’as eu dans les fesses’.
La fin n’est que soulagement, Henry saute sur le dos de
Raymond, les joueurs rayonnent. Nous aussi. Le parfum des années fastes
revient.
Je me tourne :’hé, au fait, samedi soir, tu fais quoi ?’