Cantona est-il un footballeur ?
Texte envoyé aux Cahiers du football pour leur concours cantonesque
Mon papa n’a jamais aimé Cantona.
Il aura même été jusqu’à prétendre que c’était une brèle.
Je lui rétorquais que, justement, il s’agissait pour l’artiste
du football d’un hommage au chanteur. J’en profitais pour fredonner la chanson
« Cantona que l’amour » et cela finissait de l’agacer.
Enfin, un artiste… Canto est-il un artiste ou sa notoriété
l’a-t-elle formulée outrageusement tel que ?
Peintre ? Mon œil oui. Il ne manquerait plus qu’il fasse
du cinéma.
Mais ne parlons pas du Canto et de sa carrière post-football
mais de l’apport de sa carrière à ce sport chéri.
Lui qui aime tant le ballon, il l’a souvent desservi.
Mon papa disait de lui qu’il devait se faire interner. A cause
de ses galipettes contre les supporters, de ses jetées de maillots, de ses coups
de sang, de son flegme britannique sur le terrain pendant que ses coéquipiers s’échinaient
à lui donner la baballe dans les pieds (juste dans les pieds, sinon, Canto ne
s’abaissait pas à tendre les orteils).
Je répondais à papa que c’était un précurseur dans l’âme.
Zidane n’a-t-il pas récupéré grossièrement sa gestion des
réactions épidermiques ?
Mika Pagis ne copie t’il pas ses presque dédaigneuses
célébrations de but ?
Ses capacités d’invisibilité sur fond de pelouse verte ne
réveillent-elles pas des vocations chez nos meilleurs joueurs de Ligue 1 ?
Et ses jeux de phrases n’ont-ils pas inspirés Barthez lorsque
le gardien chauve joua au lama contre un arbitre, rien que pour embêter
métaphoriquement Bernard ?
Par son refus de s’adapter aux règles établies, Canto rejetait
ainsi son éducation traumatisante vécue sur les bords de l’Yonne quand son Guy
Roux lâchait ses chiens et ses Diomède sur les faiseurs de bazars nocturnes. Qui pourrait donc le lui reprocher ?
Qu’a-t-il apporté finalement au football ?
Une frappe sans effort des 20m en lunette anglaise après
laquelle il fait face au public en levant les bras au ciel, comme dans un ralenti
d’un film de gladiateurs, homme haranguant la foule tel un empereur romain dans
son Colysée.
Un col de maillot remonté pour marquer sa différence comme
Rothen est capable de le faire pour faire oublier ses performances.
Un français nommé, sur le terrain de la fourbe perfide Albion :
homme de Manchester pour un siècle passé.
Une confiance pour tous les futurs ex-expatriés mercenaires du
football.
Des publicités lucratives pour celui qui dénonçait le système…
Des mouettes.
Essayons encore de parler football.
Alors qu’il ne participait même pas au jeu… Le bougre.
Cela ne lui était pas nécessaire pour se rendre évident. Sa
compétence aigue de la transparence pourrait rendre jaloux Micoud, dernière
cuvée bordelaise. Ne voit-on dans le port altier de Johan une descendance
filiale au port de balai dans le fondement de Cantona ?
Pourtant, Canto, c’était l’éclair de génie dans le brouillard britannique, c’était le luxe d’un contrôle supra technique et d’une vision rayonnante illuminant 90 minutes de tacles anglais et boueux, virils mais corrects (enfin, tous les tacles qui, à l’époque de Canto, ramenaient la trajectoire des crampons sous la rotule étaient jugés corrects).
Toutefois, il n’était pas difficile de trouver Cantona
extraordinairement possédé par le démon brésilien lorsqu’il n’avait en face de
lui que des défenseurs génétiquement modifiés par le faible patrimoine de Tony
Adams.
Canto a su être là où il fallait, quand il le fallait.
Comment sa patrie d’origine pouvait-elle le
reconnaître comme fiston footeux après ses frasques nationales et son
exil ?
Par l’unique visionnage de ses exploits grands-bretons dans
L’Equipe du Dimanche ? Impossible.
Il devait donc repasser par la Manche d’un maillot bleu pour
exister. Lui qui portait si bien le rouge de MU, il devait faire sa mue avec le
drapeau tricolore.
C’est alors que le bas blesse.
A l’instar de Ginola, peut-on lui pardonner un jour d’avoir
participer au match du 17 novembre 1993 ?
Pendant que son laxisme comportemental rejaillissait sur toute
une équipe maudite, Kostadinov transformait le Bernard en ermite de cage.
Il appartient à cette génération que nous voulons oublier,
qu’Aimé a su oublier pour construire son Mondial franco-français cinq ans plus
tard.
Depuis Fontaine, en passant par Platoche, puis la bande à la
Desch’, la France ne reconnaît ses fils que par le maillot bleu. C’est celui
qui transcende un joueur moyen bon en très bon (sauf Karembeu en 1998 mais
l’exception…).
Cantona ne sera donc que ce mercenaire épileptique aux gestes
insensés et encensé en Angleterre.
Au bout du compte, quel faible palmarès pour un joueur porté
par une telle aura.
Une coupe de France Montpelliéraine, deux titres de Champion de
France marseillais (pour seulement 40 matchs joués en 2 saisons), 5 titres de
Champion d’Angleterre (Leeds et MU) et quelques coupes anglaises. Enfin, c’est
l’Angleterre…
Rien en Europe. Rien avec les bleus.
Canto est-il d’ailleurs un joueur de foot d’ailleurs ?
Mon papa saurait quoi répondre à cette question. D’ailleurs,
père pense que tous les footballeurs sont des touristes pleins d’argent qui ne
justifient même pas leurs salaires sur un terrain. Il a des idées novatrices à
ce sujet, mon papa.
Cantona me fait rire, il reste atypique et c’est son souhait.
Sans doute. C’est son jeu. Sans doute aussi.
Malgré tout.
Il n’empêche qu’en tant que footballeur laborieux du dimanche
matin, je hais ces faux sportifs qui trottinent tout seuls, attendent le ballon
et marquent des buts impossibles, qui friment par facilité en usant d’une
philosophie de bulot.
Tout à fait ce genre de coéquipier pénible à se taper la malléole sur le front mais …qu’il vaut mieux avoir dans son équipe.